Enfance, dors

[Parlé, sans musique, voix rassurante d'une femme :]
Installe-toi
N'aies pas peur
Je vais te conter une histoire
Installe-toi
Sous les draps
Tu es en sûreté avec moi

Il n'y a pas si longtemps était une enfant
Une enfant sage, la plupart du temps
Elle grandissait, souriait, était adorable
Éloignée du noir, des vices et du diable

Son armoire à jouets
Remplie à ras bord
Était prête à déborder
De jeux et d'une enfance d'or

Mais cette nuit-là, la petite fille Dormait sous ses draps, dans son lit, bien tranquille
Quand elle sentit quelque chose approcher
Et vit sur elle une ombre qui la couvrait

Sans un bruit, elles restèrent là
L'ombre et la pauvre enfant proie
Qui ne pouvait pas comprendre

Une monstrueuse main pesante
La caresse de haut en bas
Jusqu'au-dessous de son ventre

D'où pouvait venir cette main
D'où venait la créature
Peut-être de la salle de bain
Oui, mais par quelle ouverture ?

Elle fixait son armoire à jouets
Jadis remplie à ras bord
Mais qui aujourd'hui alors
Était d'un vide effrayant

Presque vide et tellement grande
Qu'un monstre put s'y loger
La gamine se promit alors
De ne jamais plus l'approcher

Peut-être que le monstre s'y était glissé
Et pouvait surgir et puis l'attaquer
Comme il l'avait si bien fait l'autre nuit – Quand
Il était à ses côtés, dans son lit

Les autres nuits encore
L'ombre s'intensifie
Des caresses encore plus fortes
Et une ombre qui gémit

Elle décrit à ses parents c'qu'elle a vécu
Si l'ombre était un monstre, eux l'auraient su
Mais elle s'était endormie devant la télé
Ils crurent à un cauchemar éveillé

[Parlé, même femme :]
C'est normal après tout pour une fille de son âge
De confondre ses rêves et les faits divers du journal

Alors, seule, elle se coucha
Ils étaient deux dans son lit
Mais cette fois, elle avait mal
Une main empêchait ses cris

[Parlé, voix superposées de la femme et d'une petite fille :]
Le lendemain, maman accusa papa
Juste devant moi, qui ne comprenait pas
Elle le traitait de violent, de brutal, de monstre
Moi qui croyais qu'ils n'existaient que dans les contes

La mère accusa le père
Pour les traces apparues hier
Son mot d'ordre serait « violence »

Après les flics, l'ambulance
Avait embarqué l'pater
Normal, ou accro-enfance ?

La gamine ne parlait plus
La gamine boursouflée s'était tue

Même bien après ça
Elle perdit l'sommeil
Si papa n'était plus là
Sa peur, elle, sonnait pareil

Mais c'était peut-être justifié au fond
C'était pas irréel, ou une illusion
Cette peur tenace, cette peur de cette ombre sombre
Qui attendait qu'elle dorme pour en elle se fondre

L'armoire poussiéreuse
Elle le pensait bien
Était là sa cachette creuse
Où le monstre rigolait bien

Elle ne voulut plus dormir
Quand, juste avant de s'enfuir
Elle crut rêver éveillée

La pauvre gamine perdit pied
En voyant maman s'cacher
Lent'ment dans l'armoire à jouets

La gamine s'brûla les yeux
A voir sa mère planquée dans ses jeux

Se replongeant dans ses souv'nirs
La gamine ne savait que dire
Sans cesse elle se remémore
Les moments d'avant, tous morts

[Parlé, voix superposées de la femme et d'une petite fille :]
« Malgré les histoires
Que l'on m'a contées
Ma peur reste toujours noire
Et ne me quitte jamais »

[Parlé, voix superposées de la femme et d'une petite fille :]
Bonne nuit ma chérie

(son d'extinction de lumière)