Le Baron

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Le Baron las du paysage de la chambre, se leva. Ses jambes, comme possédées, l’emmenaient dans le couloir. Elles le guidaient dans les passages tortueux des remparts, lui faisaient descendre des escaliers interminables. A chaque pas, il risquait de rater la marche suivante et se rompre le cou. Les portraits défilaient dans son sillage, on aurait dit qu’ils le suivaient du regard. Les ombres redessinaient leurs traits, les rendaient maléfiques. Ils semblaient prêts à bondir sur leur proie démunie dans l’obscurité. Après un moment, qui lui parut une éternité, le Baron était dehors. Il s’immobilisa. Ses jambes avaient arrêté de marcher. Il semblait avoir repris le contrôle de son corps et de sa conscience. Alors il se mit à arpenter le chemin qui serpentait dans le jardin au tour du château.

Le Baron passa le long des rosiers qui ressemblaient à des plantes enduites de sang, la lumière pauvre de la Lune ne faisait que rajouter plus de force à cette ambiance vampirique. On ne les coupait qu’une fois par an ayant, ce qui avait pour effet de les faire ressembler à des herbes envahissantes. Les tiges et leurs branches s’entremêlaient formant un buisson épineux. Les rosiers ainsi emboîtés ressemblaient à un fort imprenable, il transcrivait la volonté des fleurs de ne pas être arrachées, de restées soudées. Elles ne voulaient pas finir seules dans un vase, mourant à petit feu. Le Baron eut un pincement au cœur à la pensée que, elles, elles étaient entourées de leurs sœurs.

Continuant son chemin, il traversa l’allée encadrée par des chênes centenaires. Leur feuillage, se rejoignant de part et d’autre, recouvrait entièrement le chemin, le plongeant dans une atmosphère lugubre. Les quelques rayons de Lune filtrant à travers le couvercle végétal faisaient jouer des ombres sur les troncs des chênes. Les creux et les rides que le temps avait formés sur leur tronc figuraient des traits presque humains, comme si on avait enfermé des femmes, des enfants, des hommes, des vieillards en eux. Le vent, passant entre les arbres, dans les fissures, dans certains creux, faisait résonner des plaintes d’âmes damnées. Des ronces et des végétaux en tous genres parsemaient le sol, le rendant dangereux et accidenté. En contradiction, comme par magie, le chemin était parfaitement dégagé, pas un brin de mauvaise herbe, pas même une feuille morte ayant fini sa course au sol. Quand le Baron sortit des arbres, la Lune avait déjà entamé sa descente pour laisser place au Soleil.

Il continua à déambuler ainsi, passant devant un saule pleureur ployant sous le poids des années, une balançoire rouillée, laissée à l’abandon, un banc abrité par un kiosque où le lierre avait décidé de s’installer. Il se souvint d’un endroit où il aimait aller, avant. Un petit étang isolé du reste du jardin et du château. Il était assez grand pour nager mais après observation, il se ravisa très vite. Une flore jusqu’alors inconnue du Baron y régnait. Des roseaux sur les rives, une nappe verte recouvrant presque entièrement la surface, agrémentée par de petits nénuphars timides. La lumière de la nuit projetait de temps en temps de petites tâches, sûrement des insectes qui vivaient dans l’étang. Déçu de ce spectacle désolé, le Baron leva la tête vers la haie qui délimitait le domaine. Elle était si haute qu’il ne pouvait voir le lointain, seul le ciel était visible. Elle était si épaisse que ni la lumière des hameaux des environs ni la rumeur d’un cours d’eau ou des animaux ne la traversait.

Il était seul, isolé.

Son visage morose, pâle et ennuyé était maintenant fermé, il n’y avait plus un semblant d’émotion. Seul subsistait son corps. Le Soleil allait bientôt se lever, il fallait qu’il rentre.

Il ne bougea pas.

De nouveau ses jambes agissaient d’elles-mêmes. Le portant jusqu’à sa chambre et le laissant retomber sur le fauteuil. Si quelqu’un était entré dans la pièce, il n’aurait pas pu dire que le Baron revenait d’une balade nocturne.

Tout était comme avant, à un détail près… le Baron n’avait plus une trace d’émotion apparente.